Manifeste du collectif Canéjan en transition


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Il y a six ans, face au constat d’un climat déréglé, d’une biodiversité en chute libre et d’une absence d’ambition des politiques menées, nous avons créé une petite association, Canéjan en Transition, aux portes de Bordeaux, entre ville et campagne. Nous voulions modestement faire passer le message de l’urgente nécessité d’une transition écologique et mettre en œuvre quelques actions dans notre commune (planter un verger citoyen, promouvoir le vélo ou les transports en commun, réparer et recycler, créer une amap, etc.).

On était loin du soulèvement !

Mais maintenant, tout a changé. Un an après les méga-feux de Gironde précédés d’une sécheresse inédite, le ciel (toujours plus chaud) nous est tombé sur la tête. Un immense surfpark pourrait se construire juste à côté de notre petite rivière, l’Eau Bourde, un affluent de la Garonne qui coule dans une forêt galerie où il est si agréable d’aller se rafraichir l’été. Un surfpark avec deux méga-piscines équipées de gros générateurs pour fabriquer des vagues sans l’aide de la lune, à 50 km des spots mythiques de l’Atlantique.

Attention, on ne parle pas ici d’une simple piscine municipale : les enfants de la commune attendront pour faire trempette durant les canicules ou pour apprendre à nager. Les piscines à vagues en question sont réservées à la pratique du surf et boxent dans une autre catégorie : étalées sur 1,4 ha, leur volume cumulé serait équivalent à celui de huit piscines olympiques. Le surfpark est au surf ce que le ski en salle est au ski ! Tout ça pour le plus grand plaisir de surfeurs venus dépenser leur argent au côté de quelques champions cherchant à faire de la médaille, maintenant que le surf est devenu discipline olympique.

Le surfpark fonctionnerait toute l’année, en journée comme en soirée, attirant vans et camping-cars par centaines. De jour, l’eau chlorée attirera les abeilles qu’on retrouvera en masse dans les filtres, comme constaté en Suisse dans un surfpark équivalent, et la nuit tombée, de gros projecteurs piégeront nos dernières lucioles, sur fond de techno ou de surf music dont profiteront malgré eux les promeneurs longeant la rivière toute proche.

Ce serait le premier surfpark en France. Jusqu’ici, tous les projets de surfpark ont échoué dans notre pays, à cause d’une « empreinte écologique désastreuse ». A Canéjan, le surfpark a donc été habilement renommé « Académie de la Glisse » par l’ « académicien » Edouard Algayon (Star Academy, Starmania, les enfoirés, c’est lui). Son académie sera verte, comme l’habit des académiciens immortels !

Créée sur une zone « déjà nettement artificialisée » (en réalité très boisée, mais les arbres ont été coupés avant la délivrance du permis), il ne reste qu’à excaver le sol de l’ancienne forêt pour y mettre les deux piscines. Des panneaux solaires seront installés sur les toits pour actionner des vagues déferlantes de 2 m de haut et l’eau de pluie y sera récupérée pour contribuer à alimenter les bassins. Tant pis pour les zones humides voisines et leurs tortues cistudes.

La prétendue autonomie en eau du surfpark est illusoire : l’utilisation de l’eau de pluie, très instable et facilement contaminée, n’est même pas assurée. Et il faudrait de toute façon commencer par remplir les immenses piscines avec l’eau potable du réseau et renouveler l’opération en cas de vidange. De plus, l’eau du réseau coulerait à flots dans le surfpark pour alimenter les douches, rincer le matériel, et nettoyer les abords des piscines et les filtres.

Chez nous, l’eau du réseau public vient des nappes profondes où s’est accumulée l’eau de pluie de l’époque postglaciaire après une traversée de 100 m sous terre. Une eau très pure qui est notre assurance-vie pour les temps incertains qui s’annoncent. Nous nous soulevons contre cet accaparement privé d’une ressource essentielle. Oui à la sobriété, à la préservation de l’eau et de la vie ; non au séparatisme de quelques entrepreneurs d’un autre siècle essayant désespérément de mettre en avant leur soudaine passion pour l’environnement au retour d’un énième tour du monde en avion des meilleurs spots de surf.