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Résumé : Nous alertons depuis plus de deux ans sur la consommation d’eau potable du projet de surfpark à Canéjan. Aujourd’hui, deux éléments confirment que nous avions raison :
• Un rapport d’expertise judiciaire indique que les bassins du projet auront besoin d’eau potable. Selon l’expert, ce besoin est plus faible que nos premières estimations, mais il est bien réel — ce que les promoteurs refusaient d’admettre.
• Un surfpark similaire en Angleterre (Bristol) a enfin publié ses consommations : 86 000 m³ d’eau potable par an en moyenne, un chiffre bien plus proche de nos alertes que des faibles chiffres avancés par les promoteurs.
Le projet de surfpark à Canéjan suscite de nombreuses interrogations, notamment sur sa consommation d’eau. C’est une préoccupation légitime : les immenses piscines contiennent de grandes quantités d’eau (20 millions de litres) et devront être remplies initialement et lors de chaque vidange avec l’eau potable du réseau public. à Canéjan, l’eau potable provient des nappes profondes qui sont surexploitées en Gironde — elle est donc particulièrement précieuse. Le commissaire-enquêteur l’a souligné lors de l’enquête publique pour la révision du Plan Local d’Urbanisme, appelant à une politique de « moindre consommation d’eau potable à l’échelle individuelle », dans un contexte où la capacité du réseau pourrait ne pas suffire à l’avenir. Autrement dit, les habitants seraient appelés à faire des efforts… pendant qu’un surfpark verrait le jour.
Dans ce débat tendu, le rapport d’expertise judiciaire sur la consommation d’eau des bassins vient d’être transmis au tribunal administratif de Bordeaux. Certains médias s’en sont fait l’écho : Sud-Ouest titrait le 17 mai : « Surfpark en Gironde : le rapport de l’expert judiciaire est tombé, il est favorable au projet de l’Académie de la glisse ». Deux jours plus tard, 20 Minutes écrivait : « Un rapport sur le Surfpark de Canéjan apporte de l’eau au moulin du projet ». Les associations auraient-elles surestimé la consommation d’eau ?
Ce désaccord sur les chiffres trouve son origine dans l’absence de communication des données par les industriels : jusqu’à récemment, aucun surfpark existant (il y en a environ 25 dans le monde) n’avait rendu publique sa consommation d’eau. Nos sollicitations pour obtenir les consommations d’eau des surfparks, adressées par deux fois à la société Wavegarden (une des sociétés qui construit ces surfparks) et directement au surfpark suisse, sont restées sans réponse. Or ces données permettraient d’objectiver les débats. Faute de données, chacun — promoteurs comme opposants — avance ses estimations sans qu’on puisse vérifier qui a raison.
Dès le début, en 2023, nous avons relevé d’importantes limites dans les estimations des promoteurs de Canéjan, dont l’absence de prise en compte de l’effet des vagues, connu pour accélérer les pertes d’eau des bassins. Leur promesse d’autosuffisance des bassins mise en avant dans le permis de construire nous a donc paru suspecte (1). Nous avons à l’époque consulté les estimations pour d’autres projets abandonnés depuis, notamment celui de Castets (40) ou celui de Sevran (93), prévu pour les JO de 2024, et qui prévoyait d’appliquer des normes sanitaires adaptées. En ajustant ces données aux dimensions prévues à Canéjan, nous avons calculé une consommation comprise entre 147 000 et 280 000 m³/an. Ces chiffres élevés, cités dans notre pétition, visaient à donner des indications dans un contexte opaque, sans prétendre refléter précisément les besoins du projet. Dans un contexte marqué par le manque de transparence autour de ce type d’installations et l’incertitude sur la réglementation sanitaire applicable, il est naturel que les analyses s’affinent progressivement.
Dans un second temps, nous avons bénéficié de l’expertise de Denis Loustau, scientifique de renom spécialisé en écophysiologie et hydrologie. Il a participé aux travaux du GIEC, devenant à ce titre colauréat du prix Nobel de la Paix 2007. Il a proposé de contribuer à ce travail sans être membre d’une association impliquée dans le recours, et en toute liberté d’appréciation. La qualité et la rigueur de son travail ne sont pas à démontrer.
Son analyse a permis d’évaluer plus précisément les besoins en eau des bassins, en intégrant le climat local et les données disponibles sur le projet, et en présentant une large gamme d’hypothèses, les incertitudes étant considérables (2).
Nous avons choisi l’année 2022 pour illustrer les résultats, car elle nous semble plus représentative du climat futur. Nous avons de plus choisi la borne supérieure des estimations de Denis Loustau en appliquant le principe de précaution face aux incertitudes et à la rareté de la ressource, et avons estimé la consommation d’eau des autres postes (douches, hôtel, restaurant, etc.). Les résultats ont été rendus publics lors d’une conférence de presse début 2024.
Deux scénarios ont été considérés :
Cela conduit à des volumes environ dix fois plus élevés que ceux des promoteurs.
Suite à ces importantes divergences, la commune de Canéjan a demandé une expertise judiciaire. Les associations se sont associées à la demande alors que les promoteurs ont émis des réserves. Le tribunal a accepté cette demande d’expertise. Dans son ordonnance du 10/10/2024, le juge a chargé un expert de« déterminer si le fonctionnement de l’Académie de la Glisse […] nécessitera une alimentation en eau potable et, le cas échéant, en déterminer la mesure ». Cette évaluation concerne exclusivement « le fonctionnement normal des bassins », avec une prise en compte de « conditions climatiques défavorables ». Le champ de l’expertise ne couvrait donc pas l’ensemble des besoins du surfpark (3) et il n’était pas demandé d’explorer l’effet de modifications du projet.
L’expert a utilisé comme base pour calculer les pertes d’eau des bassins l’évapotranspiration d’un gazon, tel qu’estimé par Météo France. Il l’a simplement majoré de 30% pour tenir compte de l’effet des vagues. Il a ensuite considéré un taux élevé de récupération d’eau sur les toits (90%), en considérant (à tort (4)) qu’ils seraient entièrement recouverts de panneaux solaires inclinés. Il a ensuite réalisé pour chaque année étudiée un bilan des pertes et apports d’eau entre mai et octobre (période de forte évaporation), sans intégrer de débordements ni mettre à niveau au jour le jour les bassins, et sans considérer de vidange (5).
Conclusion de l’expert : en l’état, les bassins ne seraient pas autosuffisants. Un apport d’eau potable serait nécessaire certaines années. Vu l’approche conservatrice utilisée, cette conclusion est imparable. L’expert estime l’apport d’eau potable nécessaire peu élevé, mais en reconnaissant qu’« en toute rigueur », « il s’agit d’un bilan incomplet ».
L’étude conduite par Denis Loustau repose sur un modèle récent (6) conçu pour les piscines, majoré de 30 % à 70 % pour prendre en compte l’effet des vagues. Les estimations obtenues sont égales ou supérieures à celles du constructeur Wavegarden (environ 23 000 m3/an ; Figure 1). En science, comparer des modèles indépendants permet de valider les résultats. Ce modèle est donc conforté par un travail indépendant et vient enrichir le débat technique. Il conviendrait désormais pour aller plus loin de réaliser un véritable bilan d’énergie des bassins pour estimer leur température, et ainsi mieux estimer les pertes d’eau par évaporation, et surtout d’obtenir pour calibrer les modèles les chiffres détaillés de consommation d’eau de plusieurs surfparks durant plusieurs années.
Figure 1 : Consommation d’eau potable du surfpark de 1993 à 2023 pour les hypothèses basse (en bleu) et haute (en orange). A noter les valeurs record en 2022. D’après le Supplément au rapport sur le bilan hydrique du Surfpark de Canéjan de Denis Loustau.
En 2024, pour la première fois, un surfpark a publié sa consommation d’eau potable. Il s’agit du surfpark de Bristol (Royaume-Uni). La consommation était de 86 000 m³/an en moyenne sur la période 2021–2023 (The Impact Zone – 2024, page 21) (7). Ces chiffres sont proches des estimations des associations (Figure 2).
Les situations à Bristol et à Canéjan présentent d’importantes similarités. Les deux surfparks reposent sur la même technologie (Wavegarden). Celui de Bristol est légèrement plus grand, avec une fréquentation moyenne observée de 150 000 surfeurs par an, contre une capacité annoncée de plus de 250 000 surfeurs par an à Canéjan. La récupération d’eau de pluie à Canéjan ne représenterait qu’une part limitée des besoins. Par contre, le climat estival à Bristol est bien plus frais (5°C de moins) et plus pluvieux qu’à Canéjan. Les consommations réelles observées à Bristol éclairent donc les débats actuels à Canéjan : si un équipement similaire, dans un climat nettement moins exigeant, atteint déjà de tels niveaux (Figure 2), il est difficile d’imaginer que le projet girondin puisse fonctionner avec beaucoup moins d’eau.
Figure 2 : Consommation annuelle d’eau potable (hors vidange) pour le surfpark de Canéjan : estimation moyenne des promoteurs (jaune), estimation des associations pour l’année 2022 (bleu), valeur mesurée en 2022 pour le surfpark de Bristol (rouge). Chiffres en mètres cubes. La récupération d’eau de pluie sur les toits à Canéjan (11 391 m3 en 2022 soit 9% du total des besoins, voir Annexe 1) jouerait uniquement à la marge.
En conclusion, les chiffres avancés par les associations lors de l’expertise reposent sur des hypothèses solides, crédibles et transparentes, construites et validées à partir des rares données accessibles — faute de transparence de la part des opérateurs. Elles expriment une inquiétude légitime face à un projet dont les besoins réels en eau restent insuffisamment établis.
Suite à la reconnaissance officielle de l’absence d’autosuffisance des bassins, les promoteurs annoncent vouloir revoir leur projet, en captant l’eau de pluie sur plusieurs hectares de toitures et en la stockant dans de grandes cuves. Mais rien ne garantit que ces aménagements suffiraient à couvrir les besoins. Ils nécessiteraient en tout état de cause une modification substantielle du permis de construire.
Des incertitudes importantes subsistent, notamment sur la réglementation sanitaire applicable en France, pour laquelle nous attendons toujours une clarification des autorités de santé. Si la santé des surfeurs est reconnue comme prioritaire et qu’une réglementation équivalente à celle des baignades devait s’appliquer, la consommation en eau du projet augmenterait alors très significativement, rendant ces projets encore plus gourmands en eau.
Les deux scénarios étudiés sont :
(1) Elle a également paru suspecte à la Commission Nappes Profondes de Gironde, qui nous a écrit que “les besoins en eau potable figurant dans le dossier de demande de permis de construire apparaissent largement sous-estimés.”
(2) Il manque en particulier une estimation fiable de l’évolution de la température de l’eau des bassins au cours de l’année, un point déterminant pour calculer correctement l’évaporation.
(3) Les promoteurs ont entretenu une ambiguïté entre la consommation des seuls bassins et celle de l’ensemble du surfpark dans leur communication à destination du grand public, notamment dans leur vidéo de présentation du projet : « D’accord, d’accord, mais un surfpark va forcément pomper toute notre eau tu me diras ! Et bah non ! En fait, un surfpark ça n’a pas besoin d’eau … » et un peu après : « tout viendra de la pluie ». Nos deux plaintes successives contre cette communication ont été considérées comme fondées par le Jury de Déontologie Publicitaire, voir ici et là.
(4) Les panneaux solaires ne couvriront en fait que la moitié des toits, selon les indications des promoteurs fournies dans le permis de construire.
(5) Le constructeur Wavegarden préconise une vidange pour raisons techniques tous les 2-3 ans : « Nous recommandons à tous nos partenaires d’envisager une vidange des bassins tous les 2 à 3 ans afin de vérifier l’état des revêtements d’étanchéité, des éléments structurels et de tout autre composant des ouvrages de génie civil des bassins. Ce contrôle constitue une bonne pratique recommandée, quel que soit le type de technologie de génération de vagues utilisé».
(6) Il a utilisé la formule de Shah (2023) pour établir le volume d’eau évaporé. Cette formule correspond à l’état de l’art pour calculer les pertes en eau d’un bassin de loisirs.
(7) La part de cette consommation imputable aux bassins n’a malheureusement pas été rendue publique : le détail serait préférable pour calibrer les modèles ; l’exercice de transparence de ce surfpark reste donc insuffisant.
(8) Voir Annexe 1. La récupération d’eau de pluie dépend de la taille des cuves mises en place, or nous avons découvert en consultant les plans à l’échelle en mairie que la cuve de récupération d’eau de pluie avait en fait un volume deux fois plus faible que celui annoncé dans les autres documents et que l’autre cuve était absente !
(9) L’estimation obtenue représente 32% (2023) ou 40% (2022) de la consommation d’eau de Canéjan.